On dit que certains dons sont déjà inscrits dans nos gènes. celui de la chanson ou du cinéma par exemple, mais aussi celui de l'art de créer les tapis et d'innover. Jalila jlouli a ce petit quelque chose dans les gènes . Bien que née béjaoise, son arrière-grand-mère Kairouanaise lui aurait transmis un certain amour pour les formes, les couleurs, les tissus, nous explique-t-elle avec certitude. Et si Jalila n'a jamais touché au métier à tisser de la maison parentale avant de monter son entreprise, jeune fille, elle a toujours été attirée par ce qui pouvait en ressortir. Portrait
Aujourd'hui chef d'entreprise avec prés de 200 employées dans le tissage des tapis, celle qui se place à la tête de la société "MONTAPI" a lancé la machine il ya 18 ans, la quarantaine passée.
" Au lycée, j'étais une élève brillante. J'ai eu mon baccalauréat section sciences naturelles en 1972 avec mention. Puis, je me suis mariée. Là où je suis née, il n'y a pas de facultés. Alors pour mon mari, je n'avais d'autres choix que de rester à la maison pour éduquer les enfants. Ce que j'ai accepté. Et à ses côtés, j'ai passé plus de vingt ans à m'occuper de mes petits que j'ai accompagné jusqu'à l'obtention de leurs diplômes universitaires", nous raconte Jalila.
Sans regret aucun de cette période, Jalila Jlouli avoue néanmoins qu'une fois ses enfants diplômés et partis du foyer parental, elle commençait à s'ennuyer seule et sans occupation. Le deal qu'elle avait convenu avec son mari n'avait plus lieu d'être. Alors quand elle lui expliquât qu'elle voulait faire quelque chose de sa vie et qu'elle aimerait entamer un projet, il la soutint. " Je devais relever le défi de réussir là où je choisirai d'aller", explique Jalila. Alors, à deux, ils décidaient qu'elle irait dans les zones rurales, dans les régions reculées.
"J'ai toujours aimé le social et toujours voulu aider. Je ne pouvais faire autre chose que d'aller à 45 kilomètres de Béja chercher les personnes qui m'aideraient dans mon projet et que j'aiderai à améliorer leur vie."
L'idée de miser sur le tapis et le tissage vient de son mari. Ingénieur principal agronome, il lui parle de ces zones qu'il a déjà eu l'occasion de visiter. L'ayant accompagné parfois dans ses sorties, Jalila n'hésite pas à se lancer dans l'investissement de ces zones urbaines. Les gens qui habitent les villes, qui font leurs études, ne veulent pas travailler le tapis. Il me fallait donc aller dans la masse rurale, ouvrir les ateliers devant eux et leur faire des formations. Pendant 6 ans, je n'ai fait que de la formation. C'était extraordinaire."
Au total, plus de 450 jeunes filles formées. Au bout de 4 ans, chacune obtient un certificat de compétence professionnelle, un diplôme qui leur permet d'avoir accès à un crédit BTS pour acheter un métier à tisser.
"Je leur fournis alors la matière première. Et elles choisissent de travailler soit à l'usine, soit depuis chez elles."
Et pendant toutes ces années Jalila loue les endroits, cherche et recrute les formatrices, fait des va-et-vient. en 1998, elle profite d'un programme qui aide les formateurs moyennant 15 dinars mensuels pour chaque fille tisserande. mais alors, à quand la production?
Pour Jalila Jlouli, il fallait passer par un circuit qui lui permettrait de distribuer la production. Alors elle passe par l'Office National de l'Artisanat Régional, participe aux foires : Le Kram, La Soukra, Charguia. Au fur et à mesure, "MONTAPI" se fait connaitre à travers les expositions et les foires. Jalila ne travaille plus les tapis de même manière classique. Il faut moderniser, changer, passer le modèle artisanale en bordure. Nous sommes en 2004 et les commandes chez "MONTAPI" se multiplient.
Cette même année, Jalila Jlouli obtient le prix présidentiel de l'encadrement des jeunes filles rurales.
"C'est dû uniquement à mon labeur. Je louais des bus pour que les femmes viennent voir leurs tapis aux salons. Je voulais que ces jeunes filles aient une chance de sortir et de voir le monde. Certes, les parents étaient réticents au début mais j'ai réussi à les convaincre à avoir confiance en moi. J'ai dû mener le même combat avec les maris aussi."
Quand Ines Ben Youssef de la GIZ, découvre les travaux de Jalila Jlouli, elle voit tout de suite le potentiel d'export des tapis. Et en Allemagne, le produit plaît. Viendra ensuite la France, le Japon ,ou encore les Etats-Unis. "MONTAPI" exposera à Maison et Objet (Paris), New-York Now (NYC), Ambiante (Allemagne), etc. " J'ai intégré le coton, le lin, la soie, ou encore la laine de chèvre pour moderniser mes produits. Je travaille aussi avec des designers pour créer de nouveaux modèles. J'aime ouvrir des branches un peu partout. Je viens de le faire à Tozeur avec des femmes à qui j'ai fourni et la laine et le réseau de distribution."
Jalila Jlouli se lance des défis au quotidien. Bientôt ses tapis seront en vente au Canada. S'il ya une chose dont elle est sure, c'est que pour mener à bien un projet, il faut d'abord avoir un appui financier : "Pour moi, c'était mon mari. mais pour réussir, il faut aussi tenir bon, croire en ce qu'on fait et surtout aimer son projet", nous confie-t-elle.
"j'ai appris d'elles la dignité et la générosité. C'est un réseau de bonheur pour celui qui veut donner. Sans elles, je n'aurais pas réussi
Mme Jalila Jlouli est chef d'entreprise. Elle produit des tapis dans 3 ateliers et expose dans son showroom, en plus des nombreux salons et foires auxquels elle participe en Tunisie et à l'étranger.
Pour lancer sa production de tapis, elle a surtout conquis un territoire avant de conquérir des marchés.
Elle s'en souvient : "Il était impératif d'aller au devant des femmes et jeunes filles pour en faire des artisanes.
Celles-ci vivent dans différentes régions du gouvernorat de Béja où je vis telles que Maagoula, Nefza, Ouled Lhwimel, Bougarnouna, Zaga, El hamra ... Il fallait y ouvrir des centres de formation du tapis et de tissage. Le quotidien était alors juché d'initiations, d'apprentissage et de réapprentissage du métier pour ensuite pouvoir produire ..."
Au cours de son parcours, Mme Jlouli aide à former plus de 450 jeunes filles et femmes de 1998 à 2016.
Ce bilan lui donne du baume au cœur. Ceci dit, Mme Jlouli obtient de nombreux prix et distinctions tels que le prix présidentiel pour l'encadrement et la formation des jeunes filles et femmes rurales en 2005. En 2006, elle obtient le 1er Prix de la création et du design du tapis. En 2007, elle gagne le 1er prix régional de la création du tissage laine et soie. En 2015, son entreprise gagne le prix de la création du tapis du Salon de l'Artisanat, section Innovation, Design et savoir-faire...
Forte d'une production de qualité et reposant sur une équipe solide, MONTAPI part à la conquête des salons internationaux.
De 2010 à 2018, elle participe aux "Tendance" et "Ambiante " à Frankfurt, "Maison et Objet" à Paris, "N Y Now" à New-York,... Mais travailler dans le tapis en Tunisie n'est pas une mince affaire! La filière est fortement concurrentielle à l'international et les horizons de l'exportation sont assez limités.
Au niveau national, la disponibilité et les qualités des matières premières, le recul du tourisme, le manque d'encouragement et de soutien, la fragilité des formations...
C'est pourquoi la réussite de MONTAPI repose sur la passion et la ténacité de Me Jlouli mais aussi et surtout sur son besoin d'exprimer son ancrage au cachet traditionnel tunisien avec esthétisme moderne et actuel. Elle explique sa démarche : "Nos produits s'enrichissent d'une continuelle rénovation grâce aux retours clients et à un besoin indéfectible de création. J'ai innové en maitrisant et me jouant des matières premières tels que le lin, le coton, la laine de brebis, la laine de chameau et de chèvre, la oie, etc. Jai même créé une maille pour mes tapis comme l'effiloché, la bouclette, le jersey et les coquilles".
Si vous n'aviez pas encore compris, Mme Jlouli est une femme qui bouge et observe, travaille et adapte. Par-dessus tout, elle crée. Grande voyageuse, elle s'inspire des dernières tendances, design, couleurs de l'année mais le tout doit se faire à la main et sur un métier à tisser ! Avec MONTAPI, Mme Jlouli a relevé le défi : que chacun trouve son propre tapis.